Faire de la politique comme un poulet sans tête

Au matin du 24 mars 2014, nombre de médias français font mine de découvrir que, comme la mauvaise herbe, le FN prend racine dans quelques villes de France, même si ne sont concernés que 6% des villes de plus de 1000 habitants, et qu’il n’y a des élus « que » dans 6 villes en France. Les médias en feront les gorges chaudes pendant la semaine à venir, puisque jouer à se faire peur a toujours fait grimper l’audience, un peu comme on aime bouffer du pop-corn devant un film d’horreur.

Coté gouvernement, pas de « changement » de politique. La porte-parole du gouvernement Najat Vallaud-Belkacem juge que l’exécutif doit « tenir le cap ». On a connu des autruches avec la tête dans le sable qui se fourraient moins l’ergot dans l’œil.

Loisir à chacun d’apprécier ici l’aveuglement des énarques aussi endoctrinés que déconnectés du réel qui nous gouvernent : tout entier acquis au système de captation des profits par une oligarchie financière qui spécule mondialement sans entraves avec des sommes colossales (On rappellera que l’investissement en produits dérivés hors bilan des 4 premières banques françaises représente 46 fois le PIB français), nos gouvernants persistent à croire que les milliards de cadeaux fiscaux au patronat et qu’un petit point de croissance pourraient non seulement ramener la paix sociale, faire reculer la pauvreté, la misère, le mal-logement, l’exclusion sociale, relancer l’économie des petites entreprises par un effet descendant en cascade, et même, par un éventuel tour de magie relativement miraculeux, faire reculer le FN.

Seulement les cadeaux fiscaux, le haut patronat et les financiers en outremangent déjà depuis plusieurs années, sinon plusieurs décennies – il suffit de considérer les profits annuels exorbitants du CAC40 (47 milliards d’euros en 2013), et ce simple chiffre : selon la Commission parlementaire des affaires économiques, les banques consacrent 22% de leurs investissements au financement de l’économie réelle, contre 78% à la spéculation.

Par un effet mécanique, à chaque seconde les intérêts de la dette publique de la France lui coûtent 1509 euros, soit plus de 46.7 milliards d’euros payés chaque année à des créanciers privés. A titre comparatif, le déficit du régime général de la Sécurité sociale s’élevait en 2012 à 14,7 milliards d’euros soit le quart des intérêts payés annuellement aux créanciers de l’État.

L’endettement de l’Etat pourrait ainsi dépasser 110 % du PIB en 2020. Le silence politique, médiatique, éditorial, sur ce sujet pourtant crucial est pour le moins assourdissant. Et l’on fait mine de s’étonner que la population, non informée sur le sujet et surtout que l’on s’abstient de solliciter sur une problématique économique, politique et financière aussi cruciale que brûlante, manifeste de moins en moins un intérêt électoral pour la politique. Le sujet est tellement grave qu’il mériterait sinon un référendum, au moins un audit sérieux de la dette publique, tant son impact sur les citoyens promet d’être violent.

Il faut peut-être considérer maintenant que la vague de ré-emergence des nationalismes (l’enracinement du FN en est chez nous l’écume) déjà à l’œuvre en Europe ne doit rien au hasard. Rappelons ici que dans un document publié à la fin du mois de mai 2013, le géant des banques d’investissement américain JPMorgan Chase réclamait l’abrogation des constitutions démocratiques bourgeoises établies après la Seconde Guerre mondiale dans une série de pays européens et la mise en place de régimes autoritaires. Le message est on ne peut plus clair. A se demander si le Chili de Pinochet, laboratoire du néolibéralisme sous contrôle dictatorial, n’a pas pour tout un tas relativement gras de financiers aussi rapaces qu’opportunistes, un arrière-goût de reviens-y.

Faisant tout entier le jeu de la Finance (en trahissant par là même éhontément le discours du Bourget) nos gouvernants sont en train de savonner la planche sur laquelle ils courent, comme des poulets sans tête. Comme le rappelle l’ouvrage «Mon amie, c’est la finance !» d’Adrien de Tricornot (Le Monde), Mathias Thépot (La Tribune) et Franck Dedieu (L’Expansion), les « ennemis » du discours du Bourget sont devenus amis et proches conseillers. Il y a définitivement dans les choix politiques d’un PS désormais composante nue et offerte à son ami la Finance quelque chose d’insidieusement suicidaire, de profondément déconnecté de l’économie réelle, et d’extrêmement pathétique. Le lobby des Banques, des Assurances et du haut patronat est définitivement entré à l’Elysée, à Matignon, à Bercy, à la Banque de France, il a plusieurs noms, plusieurs visages, plusieurs partis, et ce sont bel et bien eux qui gouvernent.

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Le FN l’a bien compris, qui n’a même plus besoin de bouger le petit doigt (sinon pour le tendre vers le premier sot volatile venu) ni même d’avoir un semblant de programme économique sérieux, se contentant de regarder sombrer des vieux partis politiques corrompus, idéologiquement et moralement, et par dessus tout sourds aux cris d’une population exsangue, pour en récupérer un électorat écœuré des grincements de ces vieux manèges rouillés. Comme ce fut le cas après la crise de 1929, c’est sur le terreau de la misère sociale que poussent les nationalismes.

Si vous trouviez que les politiques de rigueur actuellement à l’œuvre en Europe sont violentes, respirez un grand coup, tant que respirer est gratuit : la violence ne fait que commencer. La crise de la bulle spéculative des dettes souveraines pend au nez des États-Nations : les aides massives que les États ont apportés aux banques en faillite ont eu pour conséquence d’accroître les « dettes souveraines » et permis aux grandes fortunes financières d’organiser la spéculation contre… les États.

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Il n’est nul besoin de dégainer la Stratégie du Choc de Naomi Klein pour comprendre que les tempêtes qui viennent ne devront rien au hasard, qu’il est probable que ces changements de régimes plus ou moins lents et violents aient été anticipés – sinon insidieusement provoqués –  depuis un moment en hauts-lieux, et que pendant que les politiques continuent leur course névrotique et ridicule de poulets sans tête, ce sont les populations les plus pauvres qui – à l’aube de la probable explosion de la prochaine bulle spéculative mondiale – peuvent se préparer à en payer le prix fort du pain et du sang, avec la promesse – celle-là fermement tenue – de finir au fond de la poubelle du néolibéralisme.

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