[Billet invité] « Le temps des assassins, histoire du détenu N° 1234. » de Philippe Soupault – Par Jacques Deruelle

Dans une brocante, les livres oubliés, véritables trésors de lecture comme «Le temps des assassins», histoire du détenu N° 1234 de Philippe Soupault, publié en 1945 par les Éditions de la Maison Française, relié demi-cuir, sont un bonheur de trouvaille pour le bibliophile.

Le poète, ami d’Aragon, de Breton ou de Benjamin Peret, cofondateur du mouvement surréaliste (Les champs magnétiques) et romancier a pris soin de témoigner par le menu de la période de son emprisonnement à Tunis en 1942, une Ville, où jusqu’à l’armistice il fonda et dirigea une radio.

Le lecteur est frappé dès les premières pages par le ton minimaliste, le caractère dépouillé de l’écriture, sans effet ni artifice.

«Dire bêtement la vérité… la littérature n’est jamais aussi haïssable que dans le domaine de la souffrance» prévient l’auteur.

Un fil conducteur guide le récit, le refus de toute compromission avec le régime haï du maréchal Pétain et l’affichage d’un mépris ostentatoire pour ses affidés, policiers, juge ou gardiens de prison, en vertu d’une dignité qui préserve la seule part de liberté inaliénable, celle de penser.

Soupault et ses codétenus, les «dissidents» ont en commun le rejet absolu de la «révolution nationale» perçue dès son instauration comme un sous-produit du nazisme. A une époque où les médiocres les affairistes prenaient le pouvoir dans le sillage de la dictature née de l’alliance entre Pétain et Hitler sur le sol français, où la corruption et le double jeu se développaient sitôt la guerre éclair enlisée sur le front Russe, la lucidité militante de quelques-uns, risquant parfois leur vie comme otage, au fond d’une prison, sonne comme un désaveu de la «vieille prudence bourgeoise» à l’œuvre dans le pays, prudence, tiédeur ou indifférence formant l’état d’esprit sur lequel la tyrannie se répandit comme une épidémie.

«Les dissidents n’étaient pas des héros», souligne l’auteur, mais ils refusèrent de s’abaisser car tout État despotique génère la peur mais la soif de liberté commande de la combattre…

En lutte contre la domination de la classe bourgeoise, son milieu d’origine, Soupault a cependant refusé d’adhérer au parti communiste d’Aragon et de Breton, estimant la poésie, par essence libre de tout conformisme et incompatible avec l’inféodation partisane.

Ami de nombreux peintres, il n’a collectionné ni possédé aucun tableau, ne multipliant dans sa longue vie que l’ivresse des voyages, les découvertes et les rencontres vitales, poète toujours en quête de dépaysement. Il mourut à l’âge de 93 ans sans avoir connu le succès mais les mains propres, «je n’ai pas fait le trottoir et le succès corrompt, oblige à se répéter» assenât-il toujours lucide, à la fin de sa vie, consolé par la poésie de n’avoir pu devenir botaniste.

Relire Philippe Soupault, c’est faire renaître un authentique porte voix de la conscience humaine, celle qui rétablie la vérité d’une époque en démaquillant ses plus vilains acteurs.

 

Jacques Deruelle

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