Le siège de Casal

…Ou comment le jeune Roberto de la Grive, fit la rencontre du Marquis de Saint-Savin, et appris de ce dernier comment s’affrontent les atours divers du siège de Casal, et des jupons de noblesse

Monsieur le Marquis de Saint-Savin, esthète et poète, libertin, bretteur et guerroyeur, n’aimait rien guère plus que de croiser le fer avec un religieux. Que le siège de la cité de Casal par les troupes espagnoles fût des plus rude, que le bon vin commença à manquer, et que les français entreprennent en pleine guerre de se quereller selon broutilles et balivernes, tout cela, Saint-Savin s’en moquait. Il s’abstenait de boire, fut-ce même de l’eau, il ne prononça mot lors des escarmouches au cours desquelles venaient se chatouiller les lames des espagnols embusqués, bien que tous éminemment révérencieux, et au demeurant fort aimables, et celles des français, promeneurs des batailles, dégraissés par le jeune et l’insistance du rude soleil casalois.

De tout cela, Saint-Savin n’avait cure. Il saisissait la vie avec l’acharnement contradictoire des grands hommes, tout à tour mâtiné d’un optimisme de bon aloi, et de la plus funeste des certitudes, celle de trouver, et cela malgré l’existence de sa botte la plus secrète, la pointe d’une lame aiguisée au plus profond de son poitrail. Saint-Savin plaisantait au détour des batailles, raillant les échauffourées comme s’il eut s’agit de vulgaires baptêmes, ainsi qu’il se moquait des prêtres et de toute forme de toge qui ressembla de près ou de loin à celle d’un ecclésiaste. Aussi, lorsque le père Amilio De Mélias, prélat du Pape mais serviteur du Roi, éminence grise du seigneur au milieu de la bataille, prêcheur de sainte trinité et de foultitude de prophéties, vînt lui chanter querelle au lever du coq, et cela après que Saint-Savin eut entamé la vieille de mettre au pilori l’existence du tout puissant, tout aussi porté par les rondeurs de l’excès de vin que par la fouge de son libertinage agnostique, le Marquis ne pu réprimer le haussement d’épaules amusé du bretteur qui s’en va estourbir un curé.

Le jeune Roberto de la Grive, qui avait assisté à la scène au cours du repas de la veille au soir, avait eus le loisir, du haut de ses seize ans, d’entendre le débat le plus jugulairement acéré concernant les notions d’infini du monde, d’existence même du tout puissant, et de sens de la marche des hommes dans la foulée légère de sa sainteté à Rome. Roberto n’avait pas considéré Saint-Savin à sa juste mesure. Il s’était, aux premiers instants du repas, convaincu que ce soldat de fière allure, parlant fort, portant beau, et défiant les saintes écritures comme l’on se joue d’un lancé de dé au mur, ne pouvait être qu’un triste sire, un vil trompeur des âmes égarées. Une incarnation du mal lui-même, avait dit le père De Mélias. Roberto, de noble lignage et de pieuse éducation, avait vu son père périr sottement lors d’un assaut incongru contre les troupes espagnoles, où Monsieur de La Grive, bien que très vigoureux pour son âge et portant à cheval ainsi que le meilleur des plus jeunes écuyers du Roi, n’avait manqué de se faire transpercer de part en part en se lançant à l’assaut d’une garnison d’espagnols plantant devant le château.

L’ami personnel du Roi, le vieux guerroyeur des batailles d’antan, s’était en effet élancé au-delà des murailles, dessinant de sa lame d’immenses boucles d’assaut, seul, poussant cri de guerre et sainte trinité dans un même élan frénétique, avant d’aller se faire estourbir par les lances bien polies des espagnols, lesquels, flattés de la querelle, et du bon verbe, ne se retinrent pas plus longtemps d’embrocher un si illustre et enthousiaste adversaire. Roberto, du haut des murailles de Casal, avait pu voir son géniteur découper bon nombre d’espagnols, chevaux, tentes, étendards et autres symboles à l’ennemi, avant de venir échouer sur un pieux mal intentionné. L’affaire avait fait grand bruit. Autour de Roberto, les assiégés, souffrant cruellement du manque d’animation, n’avaient pu retenir un esclaffement de surprise autant que d’admiration devant le noble assaut de leur ami De la Grive. On parla de la bravoure du grand homme, on évoqua la mine déconfite des premiers espagnols qu’il larda de coups de lame, on se surprit à palabrer de concert autour des ultimes bons mots de l’assaillant au milieu des lames adverses.

Roberto, commença ce jour là à entrevoir la brutale stupidité de la guerre. Et par là même la relative efficacité de la profession de foi devant la pointe des épées. Aussi lorsqu’au cours du repas, le soir même, alors qu’on avait convié Roberto à prendre place parmi la gente noblesse de Casal , il était plutôt bien disposé, orphelin et septique du jour, à entendre les railleries de Monsieur le Marquis de Saint-Savin. Il ne fallu pas plus de quelques répliques bien assénées par le libertin, pour que le père De Mélias s’empourpra de colère, manquant de s’étouffer du raisin du Sud de l’Italie voisine, Le débat fit rage, Saint-Savin soutenant mordicus que le mariage, la prière, le jeune, et la pentecôte n’étaient que viles dorures aux yeux de l’honnête homme, que l’existence est trop courte pour ne pas être bue jusqu’à la lie, et que comme des animaux dans la forêt, chacun se doit de trouver sa pitance au détriment de l’autre. Certes Saint-Savin ne manquait pas de manières ni de verbe, ni même d’expérience, et il était connu pour être également un discoureur de jupons des plus assidu, mais Roberto ne comprenait pas vraiment le propos. Le décès, au combien romanesque de son père l’avait plongé dans une nuit noire sans étoiles ou venaient tour à tour hurler les loups espagnols, hennir les chevaux des assiégés, et frapper sans vergogne épées contre boucliers. Le repas dura bon temps. Même en temps de siège, et les espagnols ne dérogeaient pas, il ne fallait pas manquer au devoir du bien manger et du bien boire. Même le père De Mélias n’échappait pas à la règle, ainsi que le laissait voir son embonpoint, proéminent sous la toge.

Et c’est au cours du repas, voyant tour à tour s’empourprer de rage l’ecclésiaste, et badiner, plein d’allant, le Marquis, que Roberto changea peu à peu de d’idée. Saint-Savin abordait tout de biais, arguant à chaque assaut, et entre chaque coupe de vin, que le tout puissant est enfant terrible de l’illogique, triste paravent à la tempête des existences, vaste tromperie du monde des idées. Roberto fini par sourire du propos, et du moins si il ne comprenais guère le nerf du propos, il sourit beaucoup du visage rougeau et colérique du curé.

Le duel du lendemain matin fut aussi savoureux, bien que les mets n’y fussent point comestibles. Le père De Mélias n’était pas, loin s’en fallait devant Saint-Savin, un illustre bretteur, et la rage autant que l’impuissance menaient invariablement chacun de ses assauts vers un cuisant échec. De son coté, Saint-Savin, vraiment peu malmené, dispensais de variables coups de lame, découpant les atours du curé un à un, faisant sauter de concert les boutons de la toge, les parues si chères à l’ecclésiaste, et, poussa même la plaisanterie à lui tapoter les fesses du plat lame. La joute fut de courte durée, cependant, Saint-Savin arguant que les plaisanteries les plus courtes sont décidemment les meilleures, Monsieur De Mélias s’essoufflant à vue d’œil. Saint-Savin fit bientôt mine de chuter, se releva d’un bon à la grande surprise du prêtre, et lui estafilada le visage d’un trait de lame des mieux placé. Le visage tout ensanglanté, l’âme meurtrie par la défaite, De Mélias en tomba sur le cul. L’affaire fut conclue ainsi et Saint-Savin essuya sa lame en discourant toujours de peu de religiosité.

C’en fut plus qu’assez pour Roberto. Conquis par le bretteur, il ne pu se retenir d’aller solliciter son attention. Saint-Savin, comme chacun à Casal avait assisté à l’assaut de Mr de la Grive, et il reconnu le jeune Roberto comme le noble lignage d’un fou mais courageux allié.

Saint-Savin, toujours avide de discours, amusé d’être entendu par tous, pris ainsi le jeune Roberto sous son aile. Il eurent tôt fait de se lier , bien que leur différence d’âge fut plus que conséquente, Saint-Savin n’ayant pas eus de fils, Roberto n’ayant plus de père. Le Marquis entrepris donc de lui enseigner la joute à l’épée, art auquel le jeune Roberto avait été déjà très bien initié, et bientôt le jeune De la Grive pu rivaliser avec les meilleurs français qui résidaient à Casal. De sa jeunesse et de sa petite taille, il apprit à tirer parti, transformant ce désavantage évident en une arme surprenante et fort maniable. Saint-Savin, très satisfait de son jeune élève, lui enseigna même sa botte secrète, celle là même avec laquelle il avait lacéré Monseigneur De Mélias.

Mais c’est d’un autre enseignement que Roberto tira le meilleur parti. L’esprit flottant de l’orphelin, découvrant à la chaîne, la rudesse d’un siège en temps de guerre, l’évidente forfanterie des espagnols, la condition de l’orphelin, la bêtise inconsciente de feu son géniteur, l’art de faire passer de vie à trépas le querelleur, la relative religiosité des religieux d’entre les murs et la bonhomie toujours pétulante de Saint-Savin, Roberto était bien mieux disposé à sombrer dans le pathétique, plutôt que de trouver un autel pour asseoir la moindre certitude. La rencontre avec la demoiselle fut décisive. Le jeune De la Grive n’avais jamais connu l’amour, n’avait côtoyé d’autre femme que sa nourrice, et sa mère avant qu’elle ne fût emportée par la maladie alors qu’il était encore tout jeune.

Il rencontra la fille par hasard, poussant une des portes du château qui n’était point la bonne, et se retrouvant devant deux femmes, l’une réajustant les coutures de la robe que l’autre essayait. De cette robe blanche, ample, élégante, Roberto ne vit rien d’autre que la fille qui la portait. Age de déraison, âme égarée au cœur de la bataille, jeune et talentueux élève de libertin, tout mena Roberto à la passion. Il referma la porte qu’il n’aurait point du avoir ouverte si les cieux ne s’en étaient mêlés, Saint-Savin eut parlé du destin, et resta prostré contre la pierre, derrière la porte, souhaitant également avoir et ne pas avoir été vu.

C’est à partir de ce moment que commença pour le jeune homme une éducation fort nouvelle, en laquelle le Marquis excellait plus qu’ailleurs.

A l’empressement des élans du cœur du jeune Roberto, Saint-Savin mis une mesure immédiate. Il entreprirent d’écrire à l’aimée une lettre du meilleur tour, et lorsque le Marquis eut laissé à Roberto le soin de rédiger un premier jet, il s’esclaffa de rire en lisant la prose passionnée du jouvenceau.

« Rien n’est bon la dedans, vous laissez votre cœur emporter votre tête », lui dit Saint-Savin.

« Vous lâchez sur le papier tous les chiens de l’enfer, vous gribouillez avec rage le désordre de vos sentiments, mais il ne sert a rien de sacrifier tout cela ».  Que votre cœur saigne à flot est déjà signe qu’il faut être prudent, mais si vous déclamez en une page les affres de vos émotions les plus troubles, qu’aurez vous donc à lui dire ensuite ? Et que pensera votre aimée en recevant par écrit le poids de votre égarement? Est-ce là réellement un tour enviable pour la chose?

Moi, surenchérit Saint-Savin, j’opterai plutôt pour la forme poétique et déclamatoire. Il faudra lui laisser entrevoir votre trouble, cela est entendu, mais tout emprunt de maîtrise, et surtout de lettrage. Elle ne vous connaît pas ? Parfait, cela nous laisse toute latitude pour broder un voile de mystère.

Il rédigèrent, des heures durant, une lettre fort bien pesée, écrite de la main du jeune De la Grive, mais toute entière dirigée par le Marquis, devenu au fil du temps et des conquêtes, un délicat esthète de la missive amoureuse. A chaque phrase on sentait poindre la larme à l’œil de l’amoureux, il prirent même le soin d’en apposer une bien en évidence au milieu de la lettre, corrigeant une coquille autant que traduisant la vive émotion de la passion.

La lettre décrivait les tourments du jeune homme, à genoux devant la beauté ineffable de la belle, les combats qu’il menait contre l’ennemi afin qu’elle ne fut jamais atteinte des souillures de la guerre, les délicates pensées de la promenade au bord de l’eau qu’il n’osait solliciter auprès d’elle. Saint-Savin avait pris soin de ne point trop en dire, autant sur l’amoureux, que sur les charmes de la belle dont il était épris.

La langue dans laquelle était rédigée la lettre était des plus soyeuse. Chaque mot fut délicatement pesé, chaque adjectif superflu mis au rebut, la ponctuation fut soignée comme le souffle d’une flûte enchanteresse.

Bref, s’enorgueillit Saint-Savin, ce fut du très bel ouvrage.

Il restait à Roberto à trouver comment faire passer la missive. Il ne savait rien de la fille, ni son nom, ni où elle résidait dans Casal. Il ne savait rien de son rang, de sa lignée, ni même de son âge ou de ses compagnies. L’affaire se corsait. Le Marquis, toujours de bon conseil en la matière, encouragea Roberto à garder sur lui la lettre, soigneusement cachetée, lors de ses promenades dans le château. Et ce qui devait arriver arriva. Roberto la rencontra accompagnée d’une amie, flânant sur le marché, ou ce qu’il en restait du temps du siège.

Comme c’était fort prévisible, il en fut pétrifié. L’apanage du jeune âge ou le peu de sens de la mesure, tout cela fit qu’il s’emmêla l’esprit avant même lui avoir adressé la parole, et qu’au lieu de lui remettre la missive après le plus bas salut qu’un prétendant ai pu déployer, il lui demanda seulement si elle savait ou se trouvait la route du château. Les deux jeunes filles s’esclaffèrent de l’idiotie, et disparurent aussitôt, laissant Roberto en plein milieu du château, seul comme un ménestrel à la langue coupée, transi de la douleur et du regret de sa bêtise.

Il n’en dit rien à Saint-Savin, trop honteux devant son mentor, et menti de bout en bout sur le bon déroulement de leur plan de bataille.

La suite est fort méprisable pour un noble prétendant. La peste entra dans Casal, sûrement propagée par les espagnols, et Roberto fut atteint de violentes fièvres des jours durant. Saint-Savin de son coté, fut finalement transpercé par une plus fine lame que la sienne, et, sans que Roberto ne sut ni cela ni le reste, la jeune fille fut elle aussi mortellement atteinte des foudres de la peste.

Le jeune De la grive survécu à ses fièvres, mais passa par de biens sombres état.

L’amour ne se fait chose mentale que lorsque le corps désire et que le désir est opprimé. Si le corps est débile et incapable de désirer, la chose mentale se volatilise. Il souhaita mourir sur le champ mille fois, se tourna et retourna sur sa couche sans mesure, hagard, à bout de force, mais ne succomba pas. Casal tomba bientôt aux mains des espagnols qui ne voulaient pas tant conquérir les habitants que la forteresse elle-même. Alité français, Robert se réveilla espagnol. Il garda longtemps le souvenir de la fille, comme la vision fugace d’une île à travers la brume de l’océan. Il garda la lettre aussi, mais certainement autant pour le souvenir de Saint-Savin et de ses précieux enseignements que pour ménager ses propres réminiscences.

Des années plus tard, alors qu’il voguait au milieu des flots sur un vaisseau français en partance pour de commerciales découvertes, il écrivit à son aimée de ce temps, celle qu’il rencontra des années après le siège de Casal, et, ayant eut tout loisir de devenir lui-même bretteur des tourments amoureux, il se surprit à sourire, revoyant Saint-Savin lui donner ses premières leçons d’escrime et de discours amoureux, songeant avec délice que parfois les rencontres de peu changent une vie de beaucoup.

Mais ceci est une autre histoire, où Roberto ne manqua jamais de se distinguer par la finesse de son esprit, la liberté de sa pensée, la valeur de sa lame. De cela nous pouvons ne pouvons douter.

Bordeaux, 22/05/04

 

 

 

 

2 réflexions sur “Le siège de Casal”

  1. Merci, pour ce texte de belle facture qui illustre bien une lecture dificille dans laquelle je me lance: celle d’un livre de Umberto Eco « l’île du jour d’avant »

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