La confession d’Éric Besson

Pour tout vous avouer, il faut dire que ça avait plutôt mal commencé. J’étais à peine venu au monde ce 2 avril 1958 en plein Marrakech que déjà, j’étais entouré de marocains, avec pas vraiment une apparence d’identité nationale. Et là-bas, c’est une réserve, comme dirait Brice. Certes, maman était d’origine libanaise, mais heureusement papa était pilote dans l’armée française bien de chez nous. Malheureusement, il s’est crashé 3 mois avant ma naissance, ce qui fait que je ne l’ai pas connu. Venir au monde comme ça, entouré de gens bronzés qui parlent bizarrement, et sans son papa, il y a de quoi vous faire perdre vos repères, croyez-en mon expérience. On se sent un peu comme une morue égarée au milieu d’un banc de saumons en pleine remontée de rivière.

Maman s’est remariée avec un chirurgien-dentiste d’origine libano-égyptienne, et du coup je me suis retrouvé avec 5 demi-frères et sœurs. J’ai avalé mon pensionnat de la 6e à la 3e dans un établissement agricole jésuite, et puis finalement j’ai eu mon bac au lycée Lyautey de Casablanca. Vous imaginez le parcours ? Les marocains, les libanais, les égyptiens, les jésuites, des arabes partout, et moi au milieu de tout ça. A la base j’étais plutôt un garçon très ouvert et tolérant, et vous pensez bien que si on m’avait dit à cette époque que je serais Ministre de l’Immigration, de l’Intégration, et de l’Identité nationale sous le quinquennat d’un type de la droite dure, je vous aurais certainement conseillé d’arrêter tout de suite la consommation de psychotropes.

Ensuite, nous avons quitté le Maroc, et toute la famille est venue immigrer dans le sud de la France où j’ai poursuivi mes études à l’ESC Montpellier. Puis je suis parti à Paris où habitaient mes grands-parents paternels.

C’est là que ça a commencé à se gâter. Si j’ai réussi à intégrer l’IEP Paris, je me suis par contre méchamment vautré à l’entrée de l’ENA en 1982. Du coup j’ai emprunté 16 000 francs à mamy, et j’ai acheté un tiers de page dans le journal Le Monde ou j’ai titré en gros : « J’ai échoué à l’ENA ». Après m’être pris une beigne, je me suis dit qu’il était temps d’avoir des gaufres, et je crois que j’ai sacrément bien fait, même si c’était pas du gâteau.

J’ai finalement été recruté chez Renault pour vendre des camions et des usines en Afrique et en Chine. Puis j’ai enchaîné les petits boulots: directeur du magazine Challenges, conseiller en ressources humaines puis délégué général de la Fondation de la Compagnie générale des eaux, transformée en Fondation Vivendi par Jean-Marie Messier, jusqu’en 2001. Je sais que vous me direz que ce n’est pas trop le parcours d’un type de gauche, mais quand on a pas connu son père, on a besoin de repères. Et Jean-Marie Messier en était un solide de repère, malgré les trous dans les chaussettes et les comptes en banques.

J’avais 35 ans quand j’ai rejoint le PS en 1993, et j’y croyais dur comme Defferre. Ils ont bien voulu de moi dans la Drôme, et je suis devenu maire de Donzère en 1995, puis député en 1997 et 2002. Et comme au PS ils manquaient de types comme moi qui s’y connaissaient en économie et qui avaient bossé dans le privé, j’ai fini par rejoindre en 2003 le bureau national du PS comme secrétaire national à l’économie, à l’emploi et aux entreprises. Entre Renault et Vivendi, il faut dire que j’en connaissais un rayon sur le sujet, et pas qu’un rayon de chez LIDL, croyez-moi.

En 2005, ça allait encore. Je suis devenu secrétaire national à l’économie chargé de l’économie et de la fiscalité au pôle activités du PS après le Congrès du Mans. Et puis c’est là que ça a commencé à partir en sucette. Moi j’adorais François Hollande, qui était premier secrétaire du PS à l’époque. C’était un peu mon nouveau papa, intelligent, drôle, charismatique, classe, pas comme cette pimbêche de Ségolène Royal. Et là, la déprime a commencé. Au lieu de choisir Lionel Jospin comme candidat, dont je soutenais la candidature avec l’ardeur d’un Claude Guéant chassant les roms en fourgonnette banalisée, c’est la Royal qui a emporté le morceau.

Là j’ai commencé à broyer du noir, sans savoir que ça m’y conduirait vraiment. Des ragots ont commencé à circuler au PS concernant mes prétendues difficultés conjugales et familiales qui pouvaient expliquer ma supposée déprime. C’est pas parce que nous nous sommes séparés avec Sylvie parce que j’ai filé avec une jeunette que ça n’allait plus entre nous. Les conseillers de Royal ont commencé à me chercher des poux dans la tête, et ça c’était plus tenable. Et voir des types aussi compétents que Jospin, Fabius et DSK mis sur la touche, bien que Dominique pour sa part en ait de nombreuses, ça a fini de m’achever.

C’est là qu’il faut que je me confesse, et pas devant un curé. Ce n’est pas par traîtrise que j’ai rejoint l’UMP, puisque ce sont les Royalistes qui ont trahi le parti, c’est juste par opportunisme. Un psy perfusé à Lacan m’a dit un jour que si notre mère nous donnait l’affection, le père nous transmettait lui sa force pour affronter le monde. Moi qui n’avais du coup pas trop de convictions mais plutôt le soucis de mon avenir, j’ai vu en Nicolas une figure charismatique, amicale, presque paternaliste, qui m’a immédiatement tendu la main avec un grand sourire carnassier. Alors j’ai débarqué avec le programme économique de Ségolène sous le bras, qui au passage était rédigé au vernis à ongles et à la plume trempée dans le gras de la toute première liposuccion d’Hollande. (Vous ne le saviez-pas ça, hein…).

Là, j’avoue que quand Nicolas m’a proposé de parler devant 10 000 partisans de l’UMP, au premier meeting du second tour de la présidentielle pour déclarer que j’étais « un homme de gauche qui va soutenir et voter pour un homme qui se revendique de droite mais que c’est un républicain de droite qui porte le mieux les valeurs auxquelles je crois » j’ai failli jouir dans mon falzar rien qu’en imaginant la tronche déconfite de Royal en train de faire les 100 pas dans son QG en balançant des High Kicks dans les porte-manteaux.

Il faut dire que j’avais rencontré Nicolas Sarkozy dès 1995 par l’entremise de Jean-Marie Messier, et que nous avions gardé le contact et de bons rapports. Quand on est opportuniste, il vaut mieux savoir conserver un carnet d’adresses de toutes les couleurs politiques, on ne sait jamais dans quel sens le vent va retourner votre veste, ni vers quel mur il va vous pousser. Et tout le monde semblait avoir oublié que j’avais écrit en janvier 2007 dans le premier ouvrage que j’avais coordonné pour le PS « La France est-elle prête à voter en 2007 pour un néo-conservateur américain à passeport français ? ». Ouf.

Avec Nicolas, ça a été le grand amour : d’abord il m’a nommé secrétaire d’État chargé de la Prospective et de l’Évaluation des politiques publiques auprès du Premier ministre dans le gouvernement de ce gros déconneur de François Fillon. Je dis ça parce que j’ai essayé pendant 5 ans de lui faire bouger un sourcil, mais je n’ai jamais réussi. Ensuite, ils m’ont catapulté au secrétariat d’État et j’ai obtenu la charge du Développement de l’économie numérique, ce qui m’a au moins permis d’apprendre à envoyer des emails et à tweeter.

Mais l’apothéose, et j’en étais pas trop fier au départ, vous comprendrez aisément pourquoi en regardant mes racines, c’est quand j’ai été nommé Ministre de l’Immigration, de l’Intégration, de l’Identité nationale. Ah et aussi du Développement solidaire, mais ça ça faisait rigoler tout le monde, on a jamais compris ni ce que ça voulait dire, ni à quoi ça servait.

C’est là que j’ai pu balancer mes plus belles sentences : « Le délit de solidarité n’existe pas, c’est un mythe. Donc celles et ceux qui manifestent pour cela doivent être rassurés, ils manifestent contre un mythe ». C’était d’autant plus cocasse que dans le même temps on se bidonnait avec cet éternel vanneur de Brice Hortefeux devant la liste non exhaustive des personnes condamnées ces vingt dernières années pour ce délit prévu par la loi.

Ah et aussi celle-ci qui faisait toujours rigoler les copains de Neuilly-sur-Seine : « La France n’est ni un peuple, ni une langue, ni un territoire, ni une religion, c’est un conglomérat de peuples qui veulent vivre ensemble. Il n’y a pas de Français de souche, il n’y a qu’une France de métissage. » Quand tu vois comment on remplissait les charters à l’époque à coups de camion-bennes de maliens et de roumains, il y a de quoi craquer son slip de rire.

J’ai même inventé une citation de Victor Hugo restée célèbre : « La France, la nation, c’est un passé pour se tourner vers l’avenir ». Croyez-moi, vous pouvez toujours chercher dans ses œuvres complètes vous ne risquez pas de vous crever l’oeil : elle m’est venue en discutant avec Patrick Buisson, l’homme qui a toujours des citations et des idées géniales concernant la France et la Nation, et j’avoue que sur ce coup-là, je ne sais pas si c’est du Eric Hugo ou du Victor Besson, mais même Guaino ne l’aurait pas trouvée.

Je dois vous confesser aussi qu’on s’est bien poilé avec les centres de rétention des illégaux. Il fallait qu’on ouvre à d’autres organisations que la Cimade, la mission d’information et d’aide juridictionnelle apportée aux étrangers en centre de rétention. Alors on les a divisés en lots et on a fait des appels d’offres, comme pour les poulets en batterie ou les sacs de patates. Évidemment ces guignols de la Cimade sont venus mettre leur grain de sel en portant plainte, mais j’ai réagi aussi vite que Nicolas enfile ses talonnettes : j’ai attribué l’appel d’offre aux associations déjà choisies, privant du coup juridiquement d’objet le recours en référé. Les gauchos étaient furieux, ils m’ont accusé d’utiliser des « méthodes de voyous ». Mais comprenez moi : Au point où j’en étais, il valait mieux rester cohérent dans la saloperie plutôt que de faire semblant d’être un humaniste. Les humanistes, eux, ils ne se gavent pas de petit four, et surtout ils ne se tapent pas une jeunette de 24 ans, arrière-petite-fille de la deuxième épouse de l’ex-président tunisien Bourguiba.

Avec Brice, Claude et Nicolas, à la suite de la sortie du film « Welcome », nous on regardait les vidéos des expulsions en Charters en chantant « Goodbye ». De gros déconneurs à l’UMP, je ne me suis jamais autant poilé de ma vie, à part peut-être pour la défaite de Ségolène en 2007. Pire, avec le débat sur l’identité nationale que j’ai lancé le 2 novembre 2009, on a reussi à occuper la presse jusqu’au séminaire gouvernemental d’une heure et demi organisé le 8 février 2010. Je pense après coup que ça a pas mal contribué à faire grimper les thèses de Le Pen dans l’opinion publique, mais voilà, moi je suis un mercenaire, on me commande et j’exécute. Chacun à sa place, et Jaurès et Mendès France au cimetière.

Bon, après ça, j’avoue que c’était beaucoup plus chiant malgré le titre ronflant de ministre auprès de la ministre de l’Économie, des Finances et de l’Industrie, chargé de l’Industrie, de l’Énergie et de l’Économie numérique. J’ai surtout passé mon temps à faire le tour des boites du CAC40 pour leur demander de retarder les licenciements de masse après la présidentielle, à regarder le foot à la télé et à faire le con avec les trolls sur Twitter.

D’ailleurs, la politique ça suffit pour moi. Enfin faut voir. Je reste maire de Donzère, c’est pépère la Drôme, et de toute façon que je sois étiqueté PS ou UMP, ils votent pour moi à chaque fois. En ce moment, je discute avec des clubs de Ligue 1, j’examine des propositions. Je ne dirai oui que si j’ai des responsabilités dans un contexte sain avec l’actionnaire du club, c’est à dire si je peux palper un maximum sans trop me fouler la conviction. Un ancien ministre, il a son dernier vrai boulot derrière lui, on le paye grassement – et pas qu’un peu – rien que pour son carnet d’adresses.

La meilleure, je crois qu’elle résume bien toute mon histoire, je l’ai gardée pour le Figaro d’aujourd’hui : «Je ne dis pas que j’arrête tout. Je n’ai pas de projet politique mais je peux aussi changer d’avis». Ça c’est du Eric Besson tout craché. Mais je pense que vous aviez compris…

(Ce texte est bien-sûr intégralement une fiction. Tout ressemblance avec un personnage existant ou ayant existé ne seraient que le fruit de votre esprit mal tourné)

4 réflexions sur “La confession d’Éric Besson”

    1. Le premier choc pétrolier débute en 1971 suite au pic de production de pétrole des Etats-Unis et l’abandon du système de Bretton Woods ; ses effets se font sentir jusqu’en 1978. L’année 1973 est cependant souvent associée à ce choc suite à la déclaration d’embargo accélérant encore la hausse de prix du baril. (Nous apprend Wikipédia) 🙂

  1. Ce type est en effet assez désagréable. Toujours en porte-à-faux par rapport aux conditions de sa naissance, à ses origines, sa culture, ce qu’il a vécu. Il me fait de la peine : il doit souffrir de la collection de ses petites trahisons, de tous ses reniements successifs. Ca fait pitié.

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